mardi 23 décembre 2008

De Conques à Moissac

Jeudi 27 avril : Conques - Noailhac 8 km

C’est une étape de repos aujourd’hui. Plutôt que de s’arrêter une journée à Conques, nous décidons de faire une demi-étape. Ultreïa ! Ce seront tout de même 7 km de raide montée.
Lever tôt pour assister à la prière du matin des Prémontrés qui se termine, après une bénédiction, par la remise d’un évangile – nous recevons ceux de saint Jean et de saint Marc – et d’un petit pain rond cuit du matin. Cérémonie simple et émouvante. Nous en avons la larme à l’œil comme cela arrivera souvent sur le chemin. Nous voilà adoubés pèlerins !
Départ à 9 h par la rue Charlemagne qui dégringole dans le bas du pays, première halte rapide devant la chapelle Saint-Roch, pour avoir un point de vue sur Conques. Puis nous passons le pont romain sur le Dourdou avant d’entamer par la route la montée vers Noailhac. Le temps est couvert, il ne pleut pas. Nous marchons en file indienne dans cette montée raide , tantôt sur le côté gauche de la petite route, tantôt sur le côté droit de manière à être vus dans les virages par les automobiles qui arrivent en face. Je suis rapidement en eau.
Nous arrivons au gîte à midi. Comme il est fermé, nous allons chez le maire chercher la clé. Ce dernier essaie de promouvoir son petit village en faisant vivre un gîte d’étape sur le chemin. Sa mairie loue aussi un restaurant, le Relais Saint-Jacques, à un jeune couple. Marie-Thérèse expérimente alors son appareil à ultrasons sur trois chiens qui se précipitaient sur elle. Le résultat est remarquable, les chiens repartent ventre à terre. Par la suite ils nous éviteront soigneusement. Ils ont compris !
Nous occupons notre après-midi à faire du feu et à nous reposer. Nous dînons au relais Saint-Jacques pour 55 francs. La jeune femme essaie de nous faire croire que d’autres personnes ont réservé. Nous serons les seuls convives ce soir-là. La tempête menace, elle éclatera dès notre arrivée au gîte. Marie-Thérèse installe une bassine sur le lit au-dessus du sien, des gouttières font leur apparition.

Vendredi 28 avril : Noailhac - Livignac-le-Haut 20 km
Il a plu toute la nuit. Départ à 8 h ce matin sous un crachin dense et dans le brouillard. Notre intention est de rallier Livignac en restant sur la ligne de crête, évitant ainsi le bassin de Decazeville et la banlieue interminable et triste à mourir de cette ville. Ce chemin, probablement plus proche de l’antique chemin des pèlerins, emprunte pour l’essentiel la D580. Il nous a été suggéré par les Prémontrés de Conques. Nous resterons donc sur le goudron toute la journée. Attention aux maux de pied !
Les 16 premiers kilomètres sont parcourus en quatre heures sans s’arrêter, il n’y a pas de café et le temps ne permet pas faire halte dans la nature.
Nous passons devant une pancarte indiquant le hameau de Fagegaltier. Les Fagegaltier étaient professeurs en huitième et septième de Julien et Clément aux Francs-Bourgeois. Originaires de cette région, ils se sont retirés par ici à leur retraite. Nous n’avons pas la curiosité d’aller voir si par hasard …et puis Julien ne les portait pas dans son cœur.
Notre chemin passe au nord de Decazeville et des anciennes houillères à ciel ouvert dont certaines ont été aménagées en espace vert.
A 13 h, nous sommes à Livignac après avoir traversé une fois de plus le Lot sur le pont neuf car le vieux pont suspendu est maintenant interdit à la circulation. Peu après nous faisons halte à la pharmacie pour acheter des boîtes de Sportenine.
Le gîte est bien agencé, les jeunes femmes de la mairie qui gèrent les places disponibles ont un tonus d’enfer et un accent du midi à couper au couteau. Le village n’a rien d’extraordinaire.
Un couple de retraités occupe des lits voisins du mien. Lui est certainement un ancien militaire. Ils sont gentils. Ils tiennent absolument à arriver à Santiago avant le premier juillet pour garder ensuite leurs petits-enfants à la Baule. Vu l’état de leurs pieds, je suis perplexe. A 5 h du matin, le lendemain, ils seront les premiers à partir dans l’aube naissante.

Samedi 29 avril : Livignac-le-Haut - La Cassagnole 26 km
Nous avions retenu primitivement un hôtel à Figeac. On nous fait valoir, à juste titre, qu’il n’est pas intéressant de descendre dans la vallée du Lot où se trouve Figeac et qu’il suffit de rester sur les hauteurs et d’infléchir sa route en direction de Cajarc, notre prochaine étape, pour atteindre le gîte de la Cassagnole, pas très loin de Beduer. Cette petite variante est d’ailleurs balisée. Nous n’irons donc pas à Figeac.
Nous partons à 7 h 30 dans le brouillard. Bonne montée du matin « qui n’affecte pas le pèlerin » dit Iseut. Le soleil finit par percer quand nous arrivons à Montredon. Ce village n’a pas de boulangerie. Dommage ! Peut-être la faim nous tenaille-t-elle déjà, nous ratons une balise et nous nous égarons complètement. Nous faisons demi-tour, retrouvons notre chemin et arrivons à Guirande au km 9. Il est 10 h. Le chemin est agréable, les côtes ne sont pas agressives. Quelques kilomètres plus loin nous arrivons à Saint-Felix. Je photographie Marie-Thérèse devant le portail de Sainte-Radegonde, XIe siècle, dont le tympan représente une fresque naïve d’Adam et Eve.
Un boulanger ambulant passe en voiture, nous l’arrêtons par acheter une boule de pain. Cela embaume. Un vieux bonhomme entraîne Jeanine et Marie-Thérèse dans sa maison pour leur vendre du cantal. Nous allons pouvoir enfin pique-niquer.
Nous repérons facilement la bretelle qui se dirige vers la Cassagnole et nous nous y engageons. Marie-Thérèse, qui avait entendu parler d’un supermarché dans les environs, nous annonce sa présence à l’approche de chaque tournant. Cela dure un moment et puis elle finit par se lasser n’y croyant plus elle-même. Nos plaisanteries à ce propos, elles aussi, se sont tues, quand, brusquement, nous débouchons sur le parking d’un énorme centre Leclerc. Marie-Thérèse rayonne de plaisir. Il faut voir alors ces dames, sevrées de supermarché depuis qu’elles marchent, se précipiter dans les rayons, le dos et les épaules marquées par le sac et la transpiration. Les braves gens, assez nombreux en ce samedi après-midi, se retournent ahuris. La marcheuse a l’avantage d’être une inconnue de passage complètement libérée de la charge de respectabilité du sédentaire, dirait un sociologue. En voilà un exemple saisissant. Je me réfugie prudemment derrière un énorme Perrier en attendant. Claude décide de se faire conduire à Figeac pour acheter un autre sac à dos, elle nous rejoindra à la Cassagnole.
Lestés de provisions, nous repartons pour notre gîte. Je ne vois pas les aiguilles de Cingle signalées par notre guide. La Cassagnole est un hameau minuscule. Un fils de Charlemagne y est né. Il ne reste rien de la demeure de ses augustes parents. Ce gîte est tenu par un jeune couple charmant. Elle, fait de la calligraphie qu’elle expose. Il y en a de superbes !
Je dors très mal cette nuit-là, mon lit est très dur.

Dimanche 30 avril : La Cassagnole - Beduer 6 km
Encore une journée de transition, nous quittons La Cassagnole à 7 h 30. Une heure plus tard nous sommes à Faycelles avec l’intention d’y prendre un petit-déjeuner. Malheureusement aucun café ne se profile à l’horizon. Une boulangerie est ouverte, mais les quelques baguettes qui restent sont réservées. Où sommes-nous donc ? pas un gramme de pain un dimanche matin dans un village de mille habitants ? dans la France profonde ! Ou bien le boulanger de Faycelles est un fichu paresseux ou il a eu un empêchement. Nous nous rabattons sur deux malheureux croissants et puis miracle une baguette de pain se libère. Nous repartons pour Beduer distant de 3 km. Est-ce notre manque d’ambition ? Est-ce ma mauvaise nuit ? Je ne sais, ce matin, je n’avance pas, mes jambes sont de plomb.
Nous faisons connaissance avec les caselles, à la technique de construction très ancienne. Ce sont des refuges circulaires de bergers faits de pierres plates empilées les unes sur les autres jusqu’à former un toit conique. Nous avons trouvé les mêmes en Corse, plus anciennes que celles-ci, moins jolies aussi.
Cahin-caha nous arrivons au gîte de la Planquette à côté de Beduer. Une brave dame avenante, un sac à main fixé sur le ventre, nous fait les honneurs des lieux. Nous la surnommons « madame pipi ». Je m’allonge dans l’herbe et je dors. Après un copieux déjeuner, préparé avec les restes des provisions achetées au centre Leclerc de Figeac, nous allons Marie-Thérèse et moi, à Beduer. Le point de vue sur le Célé est magnifique. Le château du XIe siècle, massif à souhait, qui a appartenu à deux familles en huit cents ans, a été vendu il y a quelques années à des riches Hollandais qui, disent les gens d’ici, colonisent petit à petit l’endroit, mais ont au moins le mérite d’entretenir ce patrimoine puisque nous ne sommes plus capables de le faire nous-mêmes. Cette courte marche à pied m’a fait du bien. La forme est revenue. Je téléphone à notre cousin Pierre Cassagnes dont la maison se trouve sur une variante du chemin, le GR651 qui passe par Espagnac et longe le Causse. Malheureusement, il n’est pas là. Nous connaissons Espagnac pour y avoir été invités par lui lors du mariage de sa fille Marie-Paule.

Lundi 1er mai : Beduer - Cajarc 20 km
Départ à 7 h 30. Nous prenons un chemin qui surplombe le château de Beduer. La vallée du Célé est dans le brouillard que le soleil commence à chasser.
Le chemin est agréable, nous longeons des murets de pierre incroyablement longs et incroyablement moussus. Nous faisons connaissance avec les petits chênes du pays, rabougris, agrippés à cette terre comme pour la retenir. Il y a une semaine nous étions en Aubrac, c’était l’hiver, aujourd’hui nous avons l’impression que c’est l’été, tant la végétation est abondante, tant il fait beau et chaud.
Gréalou n’offre rien de particulier, encore une église fermée sur une belle place ombragée, hormis un beau dolmen devant lequel nous faisons halte. Des personnes ont dessiné sur le sol des dessins ésotériques et édifié des petits empilements de cailloux. De l’autre côté du chemin, à quelques mètres, des âmes pieuses ont placé une très belle et très ancienne croix de pierre comme pour surveiller les diableries d’en face.
Nous avons l’impression d’être en balade dans de beaux chemins creux. Le chemin vers Cajarc offre une variante, l’une passe au nord, l’autre, plus facile, passe au sud. De cette dernière, nous devions voir un autre dolmen. Celui-la nous ne le trouverons pas. Nous arrivons sur le bord de l’une des falaises calcaires qui entourent presque complètement Cajarc. Le chemin blanc que nous empruntons descend à pic. La chaleur augmente à chaque pas que nous faisons. Il fait une chaleur étouffante en bas.
Cajarc est en fête. Le championnat départemental de pétanque du Lot a lieu, ici même, aujourd’hui. Notre hôtel est fermé. Il est 13 h. On nous indique que l’hôtelier et sa femme assurent la restauration de la manifestation. Nous nous y rendons et nous trouvons notre hôtelier surveillant une batterie d’une centaine de côtelettes en train de griller. Je n’ose compter les bouteilles de vin alignées sur les tables. Visiblement la pétanque creuse l’appétit. Nous recevons gentiment les clefs de l’hôtel. Nous y serons seuls ce soir.
Nous visitons cette petite ville agréable dont le boulevard circulaire suit les anciennes fortifications. A l’intérieur de la boucle, l’église se trouve sur une belle place, les restes du château sont très abîmés.
Nous dînons en compagnie d’un Genevois et d’un Jurassien dont l’un a un magnifique bourdon. C’est vrai que ce support a une autre gueule que nos bâtons réglables en fibre de carbone que l’on trouve dans tous les magasins de sport. Au menu : magret de canard grillé, pomme de terre au four et vin de Cahors.
Le patron du restaurant nous dit que Madame Pompidou vient de temps à autre dans sa maison qui se trouve perdue sur le causse pour la fraîcheur qu’il peut y faire par rapport à Cajarc.

Mardi 2 mai : Cajarc - Pech-Olié 23 km
Nous quittons à regret Cajarc, il est 8 h. Le temps est magnifique. Notre chemin longe le Lot un moment avant de le traverser à Gaillac, qui n’est pas le pays du vin de Gaillac. Commence tout de suite une longue montée sur un chemin caillouteux bordé de pierres sèches. Nous croisons à plusieurs reprises des chiens qui ne s’intéressent pas à nous, les propriétaires ne sont d’ailleurs jamais très loin. Je suppose que ce sont des chiens truffiers.
Nous arrivons enfin sur le causse au Mas del Pech. A notre gauche, une Anglaise d’un roux agressif pousse une tondeuse à rouleaux sur une pelouse minuscule. Tout un art que seuls les Anglais pratiquent même ici. Le contraste des couleurs, le vert foncé de la pelouse, le roux de la chevelure, est étonnant. En retrait la petite maison est ravissante avec ses fenêtres à petits carreaux et ses rideaux brodés. Un peu plus loin une fermière hurle en patois. Nous comprenons qu’un renard lui a tué huit poules durant la nuit. Nous nous arrètons pour commenter l’évènement et remplir nos gourdes d’une eau fraîche délicieuse.
Notre chemin contourne Limogne, il est 13 h 30. Je propose d’entrer dans la ville pour prendre un pot. Devant le manque d’enthousiasme du groupe, je m’incline à tort. Nous allons bientôt le regretter car nos gourdes sont de nouveau vides. Une brave jeune femme rencontrée devant la porte de sa maison va nous donner une eau horriblement javellisée.
Notre chemin se poursuit de façon agréable sous ces chênes courts sur pattes qui font des sous-bois à la végétation clairsemée. Je m’aperçois cependant que Claude à de plus en plus de mal à suivre. Sans réponse explicite de sa part, je n’insiste pas.
A quelques kilomètres de Varaire, Pech-Olié s’annonce à 900 mètres, en fait à deux bons kilomètres. Il est 15 h 30, nous arrivons dans ce gîte privé qui nous semble immédiatement à l’abandon. Curieux, puisqu’à notre connaissance c’est le seul gîte de l’endroit. Après avoir patienté un bon moment dans la cour, la porte s’entrebâille et une bouffée de tabac et de bière nous saute à la figure. Une journée de plein air, cela vous aiguise l’odorat. Nous reculons d’un pas. Derrière ces odeurs, une belle tête de gitan apparaît, un long corps se déploie, pas de doute nous avons affaire à un cavalier. C’est le maître du logis, distant, perdu dans un rêve intérieur. Nous nous interrogeons du regard, que faire d’autre sinon aller à Varaire voir si… Nous nous laissons installer. L’ensemble est limite.
Un gendarme marcheur, qui a épousé une Basque, ma parle des vautours que l’on voit dans les champs aux alentours d’Ostabat. Je précise tout de suite que je n’en verrai, hélas, pas un seul là-bas. Un groupe de jeunes rochelais arrive par le GR46. Leur bande ne s’intéresse pas trop aux pèlerins que nous sommes malgré quelques tentatives de notre part.
Dans un coin de la cour, un paddock est ouvert, vide. Point de chevaux dans les parages !
Au dîner, préparé par notre cavalier gitan, puisque c’est notre unique interlocuteur, nous avons du chili con carne pas mauvais du tout. C’est probablement l’unique plat servi ici puisque les convives se renouvellent chaque soir. Contrairement aux autres soirs, l’ambiance est terne, ce n’est pas la faute des rochelais, ni de la nôtre. Le maître de céans se veut aimable, tout cela a l’air de l’embêter souverainement.

Mercredi 3 mai : Pech-Olié - La Burgade ( Le-Pech) 24 km
Départ sans trop de regret de ce gîte qui a eu sa période faste. Il est 7 h 30, le temps est splendide.
Mauvaise nouvelle, Claude ne peut plus marcher ou presque. Nous parvenons quand même à Varaire distant de quelques kilomètres. Nous apprenons là que cette commune possède un gîte depuis peu. Ce qui explique, en partie, la décrépitude de Pech-Olié. Nous apprenons aussi que la femme de notre hôte de la veille est partie avec les enfants. Bref, la dégringolade que nous pressentions. Nous achetons nos provisions à l’épicerie du coin. Miraculeusement on donne à Claude l’adresse d’un vieux monsieur qui doit se rendre ce matin à l’hôpital de Cahors distant d’une trentaine de kilomètres. Celui-ci accepte de la prendre à bord. Nous faisons à Claude nos recommandations d’usage et la laissons partir avec lui. Sa sœur Jeanine reste avec nous. A trois, nous sommes dans la configuration minima que nous garderons jusqu’à Saint-Jacques.
Nous quittons Varaire par un beau chemin ombragé, reste du « Cami ferra », voie romaine qui allait de Caylus à Cahors. Nous sommes sur le causse de Limogne. Sur ce chemin, les abris de berger s’appellent des gariottes. Il s’agit toujours de la même technique de construction en pierre sèche que les caselles.
Au sud de Bach (le village de Bach s’entend), à midi, nous passons non loin du couvent de bonnes sœurs de Vaylats. Le Vaylats est un gîte apprécié des pèlerins, comme tous les couvents de bonne sœur d’ailleurs. Sa cloche aigrelette sonnant l’Angélus nous accompagnera un bon moment. Nous avons quitté les bois de chênes bien plantés pour les champs de céréales. Le soleil tape dur. Nous nous arrêtons devant un lavoir à l’eau limpide. Je me sers de mon chapeau comme d’un seau et je m’en asperge copieusement, l’eau me semble glaciale.
Il est 14 h, nous arrivons au Pech, petit village perché sur une hauteur. J’y arrive une fois de plus trempé jusqu’aux os. Une hôtesse charmante nous accueille, le gîte est neuf. Un énorme bouquet de fleurs trône dans la salle à manger. Marie-Thérèse est ravie de ce geste, elle y voit le fait d’une présence féminine qui manquait à Pech-Olié. Arrive en même temps que nous un couple de Grenoblois, lui chercheur au CNRS, elle, je ne sais plus. Marie-Thérèse, toujours très au courant de tout, me dit que ces gens recherchent sur le chemin la discrétion nécessaire aux faux couples. Marie-Thérèse leur propose le seul lit matrimonial du lieu, sans succès. Nous le prenons donc.
Notre chercheur grenoblois a la particularité d’avoir une paire de basket pour les montées et une autre pour les descentes. Les deux paires se distinguant par des points d’appui différents, ne me demandez pas lesquels. Alors que je lui demande quelle paire choisir sur le plat, il me répond que le plat n’existe pas. Voilà un épineux problème réglé de façon radicale. Je crois entendre Bill Rapin.
Nous avons droit à un excellent dîner : salade de gésiers de canard, cassoulets au confit d’oie. Tout cela est avalé sans broncher. J’ai à côté de moi une vieille dame qui agite beaucoup ses mains baguées qui furent belles. Elle m’assure faire des étapes journalières de 30 km. Comme elle raconte des histoires drôles, je la crois sur parole. Ici encore notre charmante hôtesse nous assure que le plat est le même tous les soirs. Pourquoi pas !

Jeudi 4 mai : Le Pech - L’Hospitalet 20 km
Nous évitons Cahors. Pourquoi faire un crochet par cette ville au Nord pour ensuite revenir au Sud et se retrouver quelques kilomètres plus à l’Ouest. Nous faisons directement route à l’Ouest vers l’Hospitalet. En passant nous gagnons une journée de marche. Je promets à Marie-Thérèse que nous nous arrêterons un jour visiter Cahors.
Nous partons à 8 h et prenons des petites routes plein Ouest puis nous contournons l’aérodrome de Cahors où nous arrivons à 10 h. La N20, à double voie à cet endroit, nous pose un problème. Je ne nous vois pas enjamber la glissière de sécurité avec nos sacs et traverser entre deux poids lourds. Fort heureusement non loin de là un rond-point rend la chose possible sans danger.
L’hôtel d’Aquitaine nous accueille quelques minutes après. Petit-déjeuner et bouteille de San Pelegrino sont de rigueur. On nous informe que le chemin que nous comptions prendre est impraticable suite à la tempête. Un chemin goudronné, à partir des restes désaffectés de l’ancienne N20, est possible. Arrêt au pied d’un calvaire pour pique-niquer. Nos pieds sentent bien que nous pratiquons le goudron depuis ce matin.
L’Hospitalet est un petit village qui jadis possédait un hôpital pour les pèlerins fondé par une belle dame, Hélène de Castelnau qui, en allant à Saint-Jacques, avait failli se noyer ici. Il n’en reste que l’église devenue celle du village. Le gîte est tenu par une vieille dame qui arrondit ainsi sa retraite. Il n’y a pas si longtemps, elle possédait le restaurant de l’endroit.
Notre téléphone portable ne fonctionne pas très bien une fois de plus. Le réseau Itinéris est seul en cause dans cette affaire. Pas de téléphone en Haute-Loire et en Aubrac sauf sur les hauteurs. Il n’y a que des vaches me direz-vous, il y a aussi quelques Chrétiens tout de même ! Ce fut un peu mieux dans le Lot. Ici, à nouveau, on capte à condition de se trouver sur une hauteur.
Cela fait une semaine que nous avons laissé Iseut à Conques. J’essaie de la contacter sur son portable sans succès et puis tout d’un coup, mon téléphone sonne, j’entends un « Iseut » extrêmement faible. « Où es-tu ? » lui demandais-je , « Je suis à l’Hospitalet, sur la place de l’église ». Stupeur ! nous sommes séparés par moins de 20 m ! Nous avons pris, sans nous consulter, la même option pour éviter Cahors. Nous contournons en courant le corps de bâtiment qui nous séparait et ce sont les retrouvailles, rires et larmes, le tout abondamment. Iseut a récupéré à Figeac une amie suisse, Sabina, qui lui tient compagnie pour quelques étapes.
Plus triste, nous avons aussi un appel de Bernard Vuarnesson, toujours très fidèle au téléphone depuis le début, qui nous annonce la disparition du padre, père de Philippe Moisand. Nous lui avions trouvé mauvaise mine à l’enterrement du père de Géraldine, son compère. Nous ferons pour lui une petite prière avec le curé du village dans l’église que nous visitons, dont il ne reste que le chevet.
Nous voilà réunis à cinq, Marie-Thérèse, Jeanine, Iseut, Sabina et moi. Claude a été soigné à l’hôpital de Cahors. Elle nous attend à Lauzerte. Il n’y a que des femmes dans ce groupe me direz-vous. Je n’y peux rien, Marie-Thérèse, toujours très bavarde, se lie beaucoup avec des représentantes de monde médical. Je suis, pour le moins, bien entouré s’il m’arrive quelque chose !
Notre brave hôtesse nous a préparé un dîner pantagruélique : cinq à six plats au moins. Malgré notre faim initiale, nous n’arriverons pas au bout. Assistait à ce dîner un couple de Hollandais assez âgés que j’avais vu arriver très éprouvés. Ces gens nous racontent, dans un français parfait et avec beaucoup d’humour, leur pérégrination depuis Cahors. Ils sont accompagnés de leur fille, sans âge, qui n’a pas levé les yeux de son assiette.

Vendredi 5 mai : L’Hospitalet - Montcuq 20 km.
Départ à 7 h 30. Nous sommes sur le causse blanc, le Quercy blanc plus précisément. Nous suivons une succession de lignes de crêtes sur un bon chemin, large, blanc comme il se doit, pas très ombragé. Il fait beau. Un vent de face, du Sud-Ouest, nous amène de la fraîcheur. Il a fortement tonné la veille, les orages ont disparu. Au kilomètre 10 nous sommes à Las Cabanes, un village tout fleuri. Le calcaire blanc des façades est aveuglant. Il n’est que 10 h du matin.
Nous remontons sur le causse. Au loin une série de crêtes parallèles sur lesquelles les chemins blancs se distinguent sans avoir recours aux jumelles. Nous suivons l’une de ces crêtes vers Montcuq que nous atteignons vers 13 h après avoir cassé la croûte dans une petite dépression pour nous abriter du vent.
Sabrina est une bonne marcheuse agréable à vivre, elle rit tout le temps. Comme son petit orteil gauche la fait souffrir, elle n’hésite pas à entailler le cuir de sa chaussure neuve. Elle est alors obligée de protéger son orteil qui dépasse à la merci des pierres du chemin. L’effet est assez comique.
Montcuq signifie : mont du coucou. C’est une jolie petite ville, étagée au flanc d’une colline, surmonté d’un donjon carré du XIIe siècle et d’une église, Saint-Hilaire, dont le clocher octogonal rappelle un peu Saint-Cernin. Un café sous les platanes nous accueille pour un traditionnel Perrier. On se croirait à Aix-en-Provence.
L’hôtel Saint-Jean dans lequel nous descendons est d’une saleté repoussante. Il est à déconseiller. Marie-Thérèse et Jeanine sont allées se faire couper les cheveux. Elles nous reviennent rajeunies de quelques années.
Sabrina repart en Suisse ce soir et Iseut trouve un gîte en dehors de la ville. Elle compte s’y reposer une journée.

Samedi 6 mai : Montcuq - Hôtel de l’Aube Nouvelle 26 km
Départ à 7 h 30. Le ciel est bas, le temps est doux. Nous suivons une succession de chemins de terre dans une nature riche. Les villages, comme Montlauzun, sont perchés sur des hauteurs. Nous avalons quelques côtes bien senties sans trop peiner. Nous contournons cependant Lauzerte, au kilomètre 14, au lieu d’y grimper. L’effort nous paraît inutile puisque nous ne nous y arrêtons pas. Nous avons probablement tort car au sommet de son piton, Lauzerte conserve une place carrée à arcades avec de très belles maisons.
Nous rencontrons trois pèlerins, de Saint-Claude dans le Jura, qui marchent avec deux bâtons comme des skieurs. C’est une habitude à prendre. Cela soulage les chevilles et les rotules dans les descentes paraît-il. Le balancement des bras imprime aussi une certaine cadence.
Il nous reste à escalader une barre de collines puis traverser la vallée de la Barguelonne et remonter en face vers Durfort-Lacapelette, soit 12 petits kilomètres. Nous perdons un moment notre chemin sans nous égarer pour autant et arrivons à l’hôtel à 15 h 30. Marie-Thérèse est fatiguée, les derniers kilomètres sur le bitume ont été durs. L’orage qui menaçait éclate.
L’Aube Nouvelle, hôtel 1900, se trouve au milieu des abricotiers et des chasselas très nombreux dans la région. Cet établissement, au nom curieux qui n’a rien à voir avec une quelconque secte, est tenu depuis trente ans par des Belges. Les étages viennent d’être refaits et la moquette est de couleur crème. Notre chambre est impeccable. Nous sommes donc priés d’enlever nos chaussures au rez-de-chaussée.
Nous retrouvons nos trois gars de Saint-Claude. Ce sont trois retraités dont le chef est un ingénieur de la Direction Départementale de L’Equipement, féru d’ésotérisme, d’homéopathie, sourcier à ses heures, j’en passe. Ce fut encore un dîner très drôle. Nous ne manquons pas une occasion d’aiguiller la conversation de ce brave homme sur l’existence des phénomènes bizarres et plus prosaïquement sur la botanique qui, en bon jurassien, est manifestement son point fort.

Dimanche 7 mai : Durefort-Lacapelette - Moissac 13 km
Cette courte étape était préméditée pour arriver tôt à Moissac et assister à la messe. Claude a pu nous réserver un coin au presbytère de Moissac. C’est une chance pour nous, nous aurions dû sinon, aller à l’hôtel car le gîte est au diable. Départ donc à 8 h.
La petite église de Saint-Martin avec son clocher mur à une seule cloche est charmante. Nous descendons dans un vaste vallon pour remonter durement en face. Nous continuons sur les hauteurs jusqu’à Moissac en passant devant la petite église d’Espis, jumelle de Saint-Martin.
La vallée de la Garonne s’annonce dans son immensité plate. En contrebas Moissac et la ligne de chemin de fer que Prosper Mérimée a fait détourner pour éviter que le cloître ne soit détruit.
Un jeune Canadien nous rejoint. Il vient de Lauzerte, à 25 km derrière nous, et va à Auvillard, notre étape de demain, 20 km plus loin. Un « pro » de la marche !
Il est midi, quand nous arrivons à Saint-Pierre de Moissac. L’église se vide, la messe est finie ! J’avais mal lu l’horaire des messes à Montcuq. Nous apprendrons par la suite que l’on fêtait les cinquante ans de sacerdoce du curé de la paroisse, celui qui a fait une si belle photo du Christ en croix de son église. L’heure de la messe avait été avancée pour faire place à un vin d’honneur offert par la mairie.
Après un bref regard à cette autre apocalypse et, quand même, une petite prière à l’église, nous allons au presbytère retrouver Claude qui nous avait préparé un succulent repas. Claude nous raconte son équipée à Cahors. Elle nous apprend que mes voisins de lit à Livignac avaient échoué à l’hôpital de cette ville. Sur le Chemin de Saint-Jacques, plus qu’ailleurs, il faut savoir ce que l’on veut : si l’objectif est d’arriver à Compostelle, mieux vaut ne pas trop s’encombrer de considérations annexes qui pèsent insidieusement sur chacune de vos décisions et finissent par vous faire échouer. Ces braves gens voulaient arriver avant le premier juillet. C’était parfaitement possible en effectuant 25 km par jour, ors leur cadence, à ce stade du parcours, était nettement supérieure, ils n’ont pu la supporter. A plusieurs reprises, nous rencontrerons des cas semblables, tous se termineront mal.
L’après-midi venue, nous revenons sur le parvis de Saint-Pierre. Je ne peux me défaire d’un sentiment de déception en levant les yeux sur le tympan de cette église et Dieu sait si j’avais reçu un choc en voyant cette Apocalypse de Jean pour la première fois en 1962 alors que je descendais en Vespa dans le midi retrouver les Barles, puis en 1973 avec Marie-Thérèse et Cécile ! Est-ce la lumière sans relief du moment ? est-ce que le tympan de Moissac ne supporte pas, ou plus, d’être vu après celui de Conque restauré ? Il est vrai que cette merveille aurait bien besoin d’une rénovation. A trop d’endroits, la pierre s’effrite, faisant une marque blanche sur fond de crasse. Quand-même ! quelle finesse dans les traits, les plis des vêtements, les barbes.
La visite du cloître est guidée, tant mieux ! C’est le plus ancien cloître roman dont les sculptures n’ont pas trop subi les guerres de religion et la Révolution. Je suis toujours aussi fasciné par la façon dont les pieds des apôtres sont représentés sur ces sculptures à plat des piliers d’angle, on croirait les apôtres en état de lévitation. Cela n’a évidemment rien à voir avec notre état de marcheur obnubilé par notre seul moyen de locomotion. Nous croisons nos trois Jurassiens avec qui nous avons dîné la veille alors que ceux-ci sortent d’une chapelle latérale. Notre ingénieur de l’Equipement me dit d’un ton grave en pointant le dallage de la chapelle : « Il y a de l’énergie là-dessous ! ». Ne voulant pas le décevoir, j’opine du chef d’un air entendu comme si l’énergie vagabonde de cet endroit saint me chatouillait la plante des pieds à moi aussi. Nous ne reverrons plus nos trois Jurassiens par la suite.
Le soir dans notre chambre du presbytère, je bondis hors de mon lit en attendant un train arriver. J’ai cru qu’il allait traverser notre chambre ! Nous sommes en effet à quelques mètres seulement des voies ferrées.

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