mardi 23 décembre 2008

De Moissac à Eauze

Lundi 8 mai : Moissac - Auvillard 20 km
Nous quittons le presbytère à 7 h 30. Il fait beau. Nous traversons Moissac encore endormi, ce jour est férié ne l’oublions pas. Nous arrivons rapidement sur les berges du canal latéral de la Garonne que nous allons suivre pendant 14 km. Terrain plat, pour une fois, sous les platanes en peine floraison qui lâchent leur bourre à tout va. On se croirait sous une tornade de neige. Des bateaux de plaisance nous croisent le mat replié sur le pont. Ce sont des Anglais ou des Hollandais. Le capitaine, cannette de bière à la main, nous salue gentiment.
Au pont de Malause, Claude nous quitte définitivement, elle souffre du dos et ne peut plus suivre. Nous l’accompagnons sur la route toute proche pour qu’elle puisse trouver un moyen de locomotion pour Moissac. Nous sommes tristes de devoir laisser Claude ainsi. Nous sommes encore trop loin de Saint-Jacques-de-Compostelle pour tenter de faire quelque chose pour elle. La règle du jeu est bien cruelle !
Nous traversons le canal au pont de Pommevic et dans la foulée celui qui alimente les tours de refroidissement de la centrale atomique de Golfech. Ces tours si imposantes dépassent maintenant la cime des platanes, elles nous semblent toutes proches
Le chemin s’oriente franchement au Sud. Nous traversons une langue de terre, large de 6 km, entre le canal latéral de la Garonne et le fleuve. Notre route reste plate, les cultures maraîchères poussent abondamment dans cette terre alluviale. Nous traversons Espalais sans nous arrêter. A peu de distance, le village d’Auvillard apparaît planté en hauteur sur la rive gauche de la Garonne. Un dernier pont, suspendu celui-là, et nous arrivons à Auvillard après une courte mais raide grimpette.
Ce village est une petite splendeur de briques et de pierres du XVIIe siècle. Sa halle aux grains circulaire est unique en France. C’est à Auvillard qu’ont été fabriquées toutes ces assiettes de faïence, aux grosses roses rouges pommées, que l’on voit encore dans les salons bourgeois du Sud-Ouest.
Les clefs du gîte se trouvent chez Monsieur et Madame Baratto, des personnages hauts en couleur. Lui a été tailleur à Paris, elle, n’utilise que des sandales, été comme hiver. Ils ont en commun une gentillesse extraordinaire. Madame Baratto marche beaucoup avec des amies, en sandale bien sûr. Elle pense même un jour aller ainsi à Saint-Jacques. Ces dames rient et bavardent tellement au cours de leurs randonnées que les gens du pays disent en les entendant arriver : « Tiens ! voilà les pintades ! ».
Nous sommes très bien installés dans le presbytère désaffecté qui surplombe la Garonne, comme tout le village. Nous visitons le musée de la batellerie situé dans la tour de l’Horloge dont le contenu est plus modeste que celui de Chateauneuf-sur-Loire et le musée de la faïence. Les bâtiments qui les abritent sont de pures petites merveilles d’époque.
J’avais perdu mes lunettes de soleil à Montcuq, probablement laissées à la terrasse d’un café. Jusqu’ici je m’en suis passé. Dimanche, les magasins étaient fermés à Moissac. Il n’y a pas de marchand de lunettes ici, la buraliste m’en propose une paire : « Je vous la donne, c’est de la réclame » me dit-elle. Les banches jaunes sont du meilleur effet. Les verres très sombres sont finalement très efficaces. Je les ai toujours.

Mardi 9 mai : Auvillard - Flamarens 14 km
Départ du gîte à 8 h. Nous allons rendre les clefs aux Baratto qui nous convient à un deuxième petit-déjeuner, somptueux, celui-ci. « Il est hors de question de partir le ventre creux » nous disent ces braves gens. Gavés de brioches et de confitures diverses nous quittons Auvillard l’estomac quand même un peu lourd. Le temps est orageux, un peu lourd lui aussi.
Le chemin passe sous l’autoroute Bordeaux -Toulouse et nous arrivons à Bardigue au kilomètre 4 après une heure de marche. Cinq kilomètres plus loin nous traversons Saint-Antoine-sur-l’Arrats qui doit son nom aux Antonins qui établirent ici une commanderie au XIIe siècle. C’est la première fois que nous rencontrons sur le chemin un portail polylobé dont l’influence mozarabe est évidente. C’est aussi la première fois que je vois le Tau des Antonins, nous le retrouverons dans un mois en Espagne à Castrojeriz.
Nous arrivons rapidement dans le village de Flamarens, dont le château du XVe siècle, qui fut le type même des grandes demeures gasconnes, est en cours de restauration par un particulier sans grand moyen dit-on. La chapelle du château n’a plus de toit depuis des lustres.
Nous pique-niquons là et nous nous offrons même une petite sieste sur un banc au bord de la route, en plein soleil. L’orage arrive et nous allons chez les Ballenghein qui nous accueillent dans leur maison. Ce couple à cinq garçons, elle est médecin, lui est cadre dans une société agroalimentaire de la région, il a fait ses études avec Stéphane Maggiar à Lille. Famille chrétienne par excellence, nous ferons une prière du soir pleine d’émotions avec leurs enfants.

Mercredi 10 mai : Flamarens - Lectoure 19 km
Nous quittons les Ballenghein et leurs enfants. Il est 8 h. le temps est orageux. Nous passons à Miradoux et à Castet-Arouy au kilomètre 8. Ici on nous offre un café et du chocolat. Une jeune femme, intarissable, nous fait visiter très en détail son église et son clocher octogonal. Nous repartons vers 11 h pour Lectoure distant de 11 km. Nous empruntons quelques beaux chemins verts, nous avons l’impression de nous balader dans un jardin. Lectoure ou du moins sa cathédrale est bientôt en vue. C’est oublier que Lectoure se trouve sur l’emplacement d’un oppidum gaulois. Pour y accéder nous devons plonger dans un profond ravin avant d’escalader un raidillon dont le chemin a le secret. J’arrive devant le cimetière de Lectoure trempé de sueur comme toujours en la circonstance. Une halte s’impose pour nous rendre présentable avant d’aller à la recherche du gîte.
Les dames du Syndicat d’Initiative nous renseignent sur les ressources de la ville. Marie-Thérèse veut absolument manger une garbure. Malheureusement, nous disent-elles, c’est un plat qui ne se mange ici qu’en hiver. Donc pas de garbure. Par dépit, nous n’irons pas au restaurant, nous trouverons d’excellentes rillettes de canard et un bon Buzet que nous dégusterons avec Jeanine au gîte.
Le clocher de Lectoure est aussi massif que celui de Saint-Pierre à Saintes. Comme il est disposé sur le côté de la nef, il a besoin, pour se maintenir, de deux énormes contreforts en forme d’arc en travers de celle-ci. Cette disposition n’est pas très élégante.
Nous rencontrons au gîte un Franc-Comtois qui revient de Saint-Jacques à bicyclette à raison de 80 km par jour. Souffrant de tendinite, il utilise du Ketum qui lui fait du bien. Marie-Thérèse prend note.
Le gîte de Lectoure est acceptable. Le box dans lequel nous avons trouvé des lits n’a pas de fenêtre. Nous dormons donc porte ouverte.

Jeudi 11 mai : Lectoure - Condom 26 km
Départ à 8 h. Le temps est menaçant. Il a beaucoup plus durant la nuit. Nous dégringolons à nouveau de cette colline en essayant de garder notre équilibre dans la pente. Sans l’aide des bâtons nous aurions immanquablement terminé sur les fesses. Nous voulions nous rendre à La Romieu, malheureusement au détour du chemin nous tombons sur un lac. Le chemin est recouvert d’au moins cinquante centimètres d’eau sur une distance que je ne peux évaluer. Demi-tour donc. Nous n’allons pas tarder à remarquer un pauvre papier détrempé sur lequel un pèlerin charitable à écrit : « Attention ! chemin impraticable par temps de pluie ». En route donc par les petites départementales.
Au carrefour suivant, les poteaux indicateurs nous indiquent que La Romieu se trouve à 18 km à l’Ouest et Condom à 20 km au Sud. Autant aller directement à Condom en sautant La Romieu. Nous gagnons en plus une journée de marche.
En file indienne, nous marchons sagement à gauche de cette petite route peu fréquentée. Les rares voitures, qui nous arrivent en face, nous obligent quand même à nous arrêter pour mieux nous enfoncer sur le bas-côté. De temps à autre, un léger crachin nous arrive dessus. Notre moral n’en souffre pas trop même si nous pique-niquons debout faute de pouvoir s’asseoir quelque part. Nous sommes dans un pays de foie gras, cela se voit aux élevages en plein air que nous apercevons tous les kilomètres.
Le gîte équestre de Condom nous attend. Nous faisons halte 2 km avant pour nous désaltérer d’un Perrier après une longue montée. Nous arrivons à 14 h 30 devant une belle chartreuse qui a perdu son faste des années passées. Les propriétaires habitent une aile des communs, nous habitons l’autre, la partie centrale avec ses belles portes-fenêtres qui donnent sur une terrasse à balustres semble inoccupée. Nous dînons en famille avec les propriétaires et leurs trois enfants. Excellent repas.

Vendredi 12 mai : Condom - Seviac 21 km
Départ à 8 h. Il fait beau. Nous traversons Condom qui prépare son festival de bandas. Quelque deux cents bandas, qui sont des fanfares locales, devraient jouer pendant tout le week-end et concourir pour des prix. Les stands de cette manifestation se montent justement sur la place devant la cathédrale. Le chef de chantier nous accorde quelques minutes pour admirer le clocher et le porche très abîmé avant que les ouvriers prennent leur travail.
Nous quittons la ville en empruntant des petites rues anciennes qui descendent vers la Baïse. Tout cela ressemble à Saintes, en plus petit. Déjà quelques pèlerins attablés aux terrasses des cafés pour leur petit-déjeuner nous encouragent du geste et de la voix.
Notre chemin est bon, nous engageons la conversation avec quatre anciens militaires à la retraite qui marchent pendant quelques jours vers Saint-Jacques. Tout va pour le mieux quand, première alerte, le chemin se transforme en bourbier sur toute sa largeur. Nous nous crottons jusqu’aux chevilles. Ici encore les bâtons nous évitent le pire.
Larressingle est en vue. La « Carcassonne du Gers » comme disent les gens d’ici. Les Gascons exagèrent toujours un peu ! Larressingle est une toute petite place forte qui faisait partie d’une ligne de défense face aux positions anglaises de Guyenne pendant la guerre de Cent ans. Elle a échappé à toutes les destructions, son système de défense est intact. La visite est rapide mais intéressante.
A peine sommes-nous attablés devant l’inévitable Perrier que nous voyons arriver Iseut, fraîche et souriante, laissée à Montcuq il y a une semaine. Quelle surprise de se retrouver ici ! Les embrassades terminées, nous décidons de poursuivre ensemble. On nous informe que le pont d’Artigues que nous devions emprunter est sous l’eau. L’Osse, affluent de la Baïse, a largement débordé à la suite des pluies de ces derniers jours. Je suis déçu. Ce pont était le début de la via publica Sancti Jacobi qui allait jusqu’aux Pyrénées. Il avait tant d’importance qu’il a appartenu un temps à l’évêché de Saint-Jacques-de-Compostelle qui le céda à l’ordre militaire de Saint-Jean-de-l’Epée. Combien de pèlerins avant nous ont traversé ce pont ? C’est une question qui nous viendra souvent à l’esprit. Les ouvrages savants parlent de millions de personnes. Peut-être. Cette communion avec nos ancêtres pèlerins nous échappe cette fois-ci. Nous allons devoir rester sur le goudron. La croûte de boue rougeâtre qui enrobe la totalité de mes chaussures commence à craqueler laissant apercevoir leur couleur bleue d’origine. L’effet est assez joli, mais cela me dissuade d’aller à nouveau patauger sur le chemin qui mène à Montreal-du-Gers.
Arrivée à Montreal-du-Gers à 14 h. Nos pieds sont fatigués. Une belle place carrée à arcades et son café campagnard nous accueille. Que les gorgées d’eau sont bonnes ! Un régal. Un orage passe et nous repartons pour Seviac, un site gallo-romain distant de quelques kilomètres.
Seviac se trouve sur une colline. Les fouilles ont mis à jour des mosaïques qui représentent des personnages, des animaux, des fleurs, des dessins géométriques, la mer, tout cela de toute beauté. Le gîte se trouve au milieu du site archéologique. Nous marchons sur certaines mosaïques pour nous rendre aux toilettes et à la cuisine.
Didier, un pèlerin belge, nous invite à partager la recette qu’il a mitonnée : spaghettis, six œufs, fromage râpé, petits lardons. Un bon reconstituant, je vous assure.

Samedi 13 mai : Seviac - Eauze 16 km
Départ à 7 h 30, il fait un temps splendide. Marie-Thérèse et moi, nous nous faisons photographier en toges par Iseut à la sortie du site. Il suffit de passer derrière un décor, mettre sa tête dans un trou et vous voilà habillé de pied en cap. Nous avons beaucoup de succès.
Nous parcourons quelques kilomètres, je me trompe d’embranchement et nous nous égarons quelque peu. Au sommet d’une colline nous avons la surprise de découvrir très loin au Sud la barre rose des Pyrénées éclairée par le soleil levant. Après le Plomb du Cantal sur l’Aubrac, c’est une marque importante de notre progression que nous saluons par quelques gorgées d’eau fraîche. Notre chemin retrouvé, nous parcourons une campagne paisible, de la vigne, des vallons boisés, de belles propriétés à l’ombre de cèdres centenaires, ainsi que la tour de défense du château de Lamothe, vestige de la guerre de Cent ans.
Les 10 derniers kilomètres s’effectuent sur une ancienne voie de chemin de fer désaffectée à l’ombre de grands acacias. A midi nous téléphonons aux Moisand qui marient leur fils, Alexis, aujourd’hui. Alors qu’ils sabrent le champagne, nous sommes, sans regret, à l’eau claire de nos gourdes.
Le clocher de Saint-Luperc apparaît enfin, il est 13 h 30. Nous sommes les premiers au gîte. On nous informe cependant qu’un groupe important a réservé. Il n’y a plus de place. Ces dames de l’Office du tourisme font du surbooking. Déception, palabre, on nous trouve finalement trois chambres à l’hôtel Armagnac pour la modique somme de 60 francs !
Nous rendons visite au pharmacien de la ville qui est ami d’enfance de Françoise Moisand. Il se propose de nous amener dîner dans une auberge de campagne. Nous refusons, étant dans l’incapacité de nous coucher tard pour repartir le lendemain aux aurores. Un Perrier fera très bien l’affaire dans un café jouxtant la maison de Jeanne d’Albret, face à la cathédrale.
Dans la cathédrale justement nous rencontrons un vieux monsieur, ancien officier de marine, qui se fera un plaisir de nous détailler toutes les particularités de la construction de Saint-Luperc.
Un car entier de cultivateurs gersois du troisième age arrive pour dîner à l’hôtel. Les brouhahas, les chants et les rires, jusqu’à fort tard dans la nuit, nous empêchent de dormir. Nous aurions mieux fait d’accepter l’invitation du pharmacien d’Eauze

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